Pour un développement territorial plus juste et soutenable
29 novembre 2023 - Sabrina Tremblay, Professeure agrégée au département des sciences humaines et sociales de l’UQAC
L’économie sociale, depuis son envol au Québec dans le milieu des années 1990, a été associée à un modèle de développement plus endogène, davantage connecté avec les besoins des milieux et des personnes qui y vivent, ce que l’on nomme généralement le développement local. Bien que cette association demeure, elle s’est davantage raffinée ces dernières années pour englober des moyens ET des finalités plus larges, en phase avec les crises systémiques multiples auxquelles l’humanité est confrontée : crise sanitaire, crise économique, crise climatique et en corollaire, effondrement de la biodiversité. Notre propos, dans les prochaines lignes, vise à démontrer la capacité intrinsèque de l’économie sociale d’inscrire des problèmes locaux dans l’arène politique globale et ainsi accélérer les changements requis. Cela est particulièrement vrai dans le cas de la crise climatique qui émerge du « bruit » ambiant et qui commence à avoir des impacts manifestes dans nos territoires.
Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire à cette étape de bien circonscrire cette échelle de réflexion et d’action qu’est le territoire. Diverses définitions existent dans la littérature scientifique sur le sujet. Les plus intéressantes ont toutes en commun le souci de décrire le territoire à la fois comme un contenant (un espace géographique) et un contenu (relations et représentations sociales). Les limites d’un territoire ne sont pas fixes, elles se meuvent au gré des relations entre les acteurs du milieu. Lorsqu’il n’y a plus de liens, le territoire prend fin. Les entreprises d’économie sociale (EÉS), en tant que communs sociaux (c’est-à-dire des interfaces démocratiques de mutualisation des ressources) permettent de définir le territoire, de l’animer, de le planifier stratégiquement et donc, ultimement, de le rendre plus habitable, du point de vue anthropique à tout le moins.
Certains types d’ÉES sont d’ailleurs plus agiles que d’autres pour jouer ce rôle. On pense notamment aux coopératives de solidarité qui, grâce à leur membrariat varié, augmente les possibilités d’interactions (qu’elles soient de nature consensuelle, conflictuelle ou de négociation) entre les acteurs de différents secteurs. Les pôles d’économie sociale régionaux jouent également ce rôle à un niveau local et national (p. ex. avec les regroupements des pôles), ce qui permet d’agir à la fois horizontalement (local) que verticalement (régional, national, global)
Beaucoup de choses seraient à dire à ce sujet, mais puisque nous devons conclure, nous terminerons par aborder les spécificités de la crise climatique et environnementale en lien avec l’économie sociale et le développement territorial. Cette crise est directement liée à nos modes de vie insoutenables d’un point de vue social et environnemental, situation qui s’est cristallisée lors de la première révolution technologique de la fin du 17e siècle (qui a permis la production de masse). Quelque part en chemin, la dimension économique a été désenclavée de celles sociale et environnementale, avec tous les effets délétères que nous connaissons aujourd’hui. Or plusieurs EÉS, par leurs visées transformatrices inscrites dans le principe de rentabilité sociale ET économique portent en elles les outils pour initier un réel changement social à l’échelle locale (son territoire d’action) puis par effet de ruissellement de chaque petite initiative, sur l’arène politique globale. Les initiatives mises de l’avant ont aussi l’avantage de sortir du discours technocentrique (c’est la technologique qui va nous sauver) pour revenir à des critères essentiels qui n’auraient jamais dû être oubliés. Ainsi compris, l’apport des EÉS est indéniable : il vise un développement des territoires plus juste et soutenable; une économie doit être au service du social et cela dans un cadre environnemental global qui n’est pas sans limites (figure 1).
Sabrina Tremblay est également responsable de l’Observatoire sur l’aménagement et le développement durable des territoires, coordonnatrice du Groupe de recherche et d’intervention régionales (GRIR), responsable de l’Axe Habiter le territoire du CRDT et responsable pôle CRISES-UQAC
Références :
Guay-Boutet, C., Martin-Déry, S., & Huot, G. (2022). Économie sociale et économie solidaire, un levier pour accélérer la transition socioécologique ? . (pp. 19). Montréal: Territoires innovants en économie sociale et solidaire. Repéré à https://tiess.ca/wp-content/uploads/2022/05/Transition_Livret.pdf
Itçaina, X. (2021). L’économie sociale et solidaire et l’inscription territoriale des problèmes publics : émergence et enjeux d’un pôle territorial de coopération économique. Revue Gouvernance, 18(1), 62-83. doi: 10.7202/1077287ar