L’économie sociale comme vecteur de rétention et d’attractivité du personnel en contexte de pénurie
5 septembre 2023 - Johanne Morin
Le marché du travail est en évolution. Dans les OBNL et coopératives de la région (comme dans les petites et grandes entreprises) le manque de main-d’œuvre, ainsi que les dynamiques relationnelles changeantes entre les employeurs et les travailleurs.euses, impliquent souvent de revoir les formules en place et de développer de nouvelles stratégies permettant d’attirer et de garder en poste ces ressources précieuses. Le bal épuisant et couteux de la séduction qui positionne les entreprises en compétition les unes contre les autres n’est pas de tout repos, et se doit d’être pris en compte dans la réflexion, le développement et la gestion de toutes les composantes du modèle d’affaires.
Alors que certains perçoivent l’innovation et les technologies comme des solutions à privilégier pour réduire la dépendance à la force ouvrière, d’autres se tournent vers de nouveaux bassins de population (immigration, jeunes adolescent.es, retraité.es, etc.) pour pourvoir les postes à combler. Dans tous les cas, des ressources humaines et financières importantes doivent être investies pour pallier les difficultés de recrutement, ce qui se traduit, en d’autres mots, par le fait de devoir produire plus avec moins. Heureusement, on dit que pour avoir le profil entrepreneurial, il faut aimer les défis!
Face à ces enjeux, les structures, les principes et les valeurs portées par les entreprises d’économie sociale (EÉS) offrent un potentiel d’attractivité et de rétention formidable. Mais pour que leur marque distinctive puisse être adéquatement convoitée par la main-d’œuvre, les entrepreneur.es qui choisissent ce modèle d’affaire doivent composer avec des facteurs endogènes et exogènes à ne pas négliger. L’accompagnement et le support offert par Essor02 et le programme SISMIC permettent de prendre en compte et, le cas échéant, de faciliter le développement de solutions adaptées pour répondre à ces défis.
Un potentiel formidable
Que ce soit parce qu’elles participent activement au développement et au renforcement de l’économie locale, parce qu’elles ont un potentiel de survie après quelques années nettement supérieur aux entreprises régulières, ou parce qu’elles contribuent fortement à l’enrichissement social des collectivités où elles se déploient, les EÉS ont bien des mérites à faire valoir aux chercheurs.euses d’emploi.
Des structures pas comme les autres
D’emblée, rappelons-nous que les organismes à but non-lucratif (OBNL) et les coopératives sont des entreprises collectives qui doivent être portées par un minimum de 3 parties (individus ou personnes morales). Selon le besoin auquel le projet entrepreneurial voudra répondre (la mission de l’entreprise), les administrateurs.trices, qui constituent leur conseil d’administration (CA), pourront ensuite choisir d’élargir ou de restreindre le membrariat, en fonction des besoins de l’entreprise. Alors que certaines se suffiront de quelques membres, d’autres en rassembleront des milliers, et chacun d’entre eux aura le même poids démocratique sur les grandes décisions et les orientations à prendre.
Plusieurs coopératives et OBNL permettent à leurs employés.es d’accéder au membrariat. Et comme les membres sont, en quelque sorte, les propriétaires de l’entreprise, cette spécificité permet aux travailleurs.euses de prendre part à un projet dans lequel ils et elles sont directement impliqués.es.
Lorsqu’une entreprise se dote de membres travailleurs, elle se doit de prévoir un nombre de sièges réservés pour les représenter au sein du CA. Cette opportunité de devenir à la fois «le patron» (en exerçant son vote à l’Assemblée générale) et l’ouvrier.ère (en poursuivant les tâches rémunérées pour lesquelles ils et elles ont été recruté.es) augmente le pouvoir d’agir des employés.es, tout en facilitant la transmission et la compréhension des décisions et des stratégies d’affaires. Cette relation particulière entre la main-d’œuvre et l’administration réduit les écarts, parfois déplorés, qui font sentir que les employeurs seraient «déconnectés» des réalités vécues par leurs équipes. Les employés.es peuvent ainsi participer aux prises de décisions, au développement et à la réalisation des plans d’actions, et se retrouver aux premières loges des divers comités de travail. Tout cela favorise le développement de nouvelles compétences, transversales ou directes, tout en augmentant le sentiment d’appartenance, de fierté et d’estime de soi.
Bien que plusieurs avantages viennent avec ces responsabilités, il n’en demeure pas moins que les entreprises doivent se munir de stratégies pour assurer le renouvellement de leurs membres et du CA, stimuler le désir d’implication, éviter de surcharger sa force travaillante par des actions trop souvent bénévoles, et former adéquatement ses équipes afin qu’elles puissent bien comprendre, et encadrer à leur tour, tout ce qui en découle (on pense d’ailleurs à l’imputabilité).
Des valeurs à partager
Travailler en économie sociale, c’est répondre à un besoin d’ordre social par le développement d’une entité qui place l’humain au cœur de ses projets. Les valeurs soutenues par le mouvement et les entreprises qui le représentent correspondent en plusieurs points à celles qui sont portées par la jeunesse. Effectivement, dans un sondage de la firme Léger réalisé en 2019 auprès de 2000 personnes âgées entre 18 et 34 ans, il est ressorti qu’une très forte majorité d’entre elles considèrent les valeurs inhérentes aux OBNL et coopératives comme importantes : «Évoluer dans une organisation qui vise d’abord et avant tout à répondre aux besoins de ses membres ou de la communauté (importe à 82 % des répondants.es), qui a des principes de gouvernance démocratique où chaque personne peut voter (72 %), qui améliore la société pour la rendre meilleure (87 %), qui améliore l’environnement et l’écologie (81 %) et qui offre une grande autonomie dans le choix des tâches (86 %)» (Source : Chantier de l’économie sociale).
Alors que certaines EÉS, de par leur vœu de réinvestir un maximum de leurs revenus au sein même de la mission, peinent parfois à augmenter le salaire de leurs employés.es, on peut considérer que le partage de ces valeurs contribue à une forme de rémunération non-tangible, un sujet qui intéresse particulièrement Stéphane Renaud, professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Dans une étude publiée en 2020, il affirme que «l’engagement fidélise les employés et les incite à rester. Donc, chez les jeunes de moins de 40 ans, lorsque le salaire de réserve est au rendez-vous, plus on offre d’éléments de rémunération intangible, plus l’intention de s’en aller diminue.» (Source : udemNouvelles)
Quoi qu’il en soit, rien n’empêche les OBNL et les coopératives de prévoir des politiques salariales avantageuses. Investir dans les conditions de travail n’est pas incompatible avec le choix de prévoir la distribution des surplus au sein de la mission. Rappelons d’ailleurs que les coopératives ont le pouvoir de dispenser leurs surplus entre les membres, et ce, au prorata de leur contribution/utilisation à la coop (par exemple les heures travaillées et/ou l’implication réalisée). Cela constitue un facteur qui favorise la participation positive aux activités de l’entreprise en titillant la volonté des travailleurs.euses de contribuer à son succès financier.
Parallèlement, les valeurs d’inclusion portées par les EÉS ont mené au développement de diverses structures de réinsertion socioprofessionnelle qui permettent de former, encadrer et intégrer de nouvelles et précieuses ressources humaines qui, pour des raisons variées, se retrouvaient éloignées du marché du travail. Bien loin l’idée d’économiser sur la main-d’œuvre en bénéficiant de subventions publiques pour faire rouler les machines; ces organismes doivent, dans la plupart des cas, investir énormément de temps, d’argent et d’énergie pour s’assurer du suivi professionnel et humain, du développement des compétences et de la sécurité de ces personnes aux besoins particuliers.
Des principes qui font la force d’un mouvement
Nous ne reviendrons que brièvement sur le principe de démocratie, puisqu’il en a été déjà question plus haut. Là où nous souhaitons attirer l’attention, c’est que contrairement aux autres types d’entreprises collectives (sociétés par actions, ou sociétés en nom collectif), le pouvoir de chaque membre correspond à un vote à l’assemblée générale, plutôt que de partager les voix au prorata des actions détenues.
Parmi les autres principes promus par l’Alliance Coopérative Internationale, celui de l’intercoopération est également susceptible de faciliter l’attraction et la rétention du personnel et d’amoindrir les effets reliés à la pénurie de main d’œuvre. En effet, de nombreuses initiatives de mutualisation des ressources humaines voient le jour entre les EÉS, ce qui permet d’offrir à des employée.es des conditions de travail plus près de leurs aspirations, par exemple en augmentant les heures travaillées.
Enfin, le principe d’éducation, de formation et d’information est celui qui précisément incite les EÉS à la transparence, tout en facilitant la transmission des savoirs, et en entretenant l’enthousiasme et l’engagement des membres et des travailleur.es.
Facteurs à ne pas négliger :
Bien que les EÉS aient à conjuguer, en quelques sortes, avec les mêmes enjeux que les entreprises dites traditionnelles en ce qui a trait à l’attraction de la main-d’œuvre, il n’en demeure pas moins que les spécificités reliées à leurs modèles d’affaires peuvent parfois créer quelques mots de tête dans la course aux perles rares. À part le fait que l’économie sociale trouve chemin dans tous les secteurs d’activité, ce qui place les entreprises exactement sur le même pied que les autres par rapport au marché de l’emploi, des influences internes et externes sont à considérer avec minutie afin que les OBNL et les coopératives puissent bien se positionner sur ce marché.
Développer la posture entrepreneuriale
Le premier élément sur lequel nous souhaitons insister concerne l’importance de développer correctement la posture entrepreneuriale de celles et ceux qui portent les projets. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des équipes qui ont tant à cœur d’offrir leurs services à bas coûts pour les usagers.ères et utilisateurs.trices, que l’idée ou la nécessité de vendre un produit ou un service leur paraît parfois incompatible. Afin de rester compétitives en offrant des conditions de travail avantageuses, il faut développer et promouvoir une image employeur forte, et se souvenir qu’il n’y a pas de honte à investir dans celles et ceux qui réalisent les activités-clés de l’entreprise, celles et ceux sans qui la mission ne pourrait pas, dans la plupart des cas, être réalisée.
Les porteurs et porteuses de projets collectifs doivent donc être accompagnés.es dûment afin de bien comprendre les nuances entre la clientèle-cible et l’usager.ère ou l’utilisateur.trice.
La notion de l’engagement
Toutes les EÉS ont recours à des bénévoles pour leur fonctionnement. Que ce soit au niveau du CA ou pour la réalisation de certaines activités, ou encore pour des présences ponctuelles ou en continu sur des comités de travail, le bénévolat est une belle ressource pour permettre aux entreprises d’optimiser leurs retombées sociales et économiques.
Nous avons déjà nommé l’importance de développer des stratégies gagnantes pour bien encadrer ces ressources. À l’image des défis qu’elles rencontrent pour se positionner sur le marché du travail, les coops et les OBNL se doivent de doubler d’efforts pour attirer et garder ces forces bénévoles. Un accompagnement adéquat utilisant des outils spécifiques aux enjeux reliés aux entreprises d’économie sociales permet de planifier la relève entrepreneuriale et de s’assurer que les attentes de chacune des parties (bénévoles/travailleur.es/entreprises) soient prises en compte dans la relation qui les unit.
Nous pensons souvent à tort que la présence de bénévoles ou l’engagement des membres est une manière d’économiser sur les frais d’exploitation. Les collectifs qui se lancent avec un projet sont parfois si enthousiastes qu’ils oublient de planifier que celles et ceux qui les remplaceront un jour n’auront peut-être pas les mêmes capacités de s’investir avec autant d’ampleur… bénévolement. Pour favoriser l’engagement à long terme des employé.es ET des bénévoles, les EÉS doivent prévoir les ressources humaines et financières nécessaires à l’encadrement de ces derniers.ères.
Faire tomber les préjugés
Il ne nous fait pas plaisir de devoir aborder ce sujet, car nous travaillons fort à la promotion d’une image positive et d’une juste compréhension de ce qu’est l’économie sociale, mais parmi les facteurs externes à considérer dans le développement de sa marque d’employeur, l’EÉS doit encore conjuguer avec quelques préjugés défavorables.
Bien qu’épousant souvent la forme juridique d’un OBNL, ces entreprises ne sont pas pour autant des organismes de charité, ni des organismes communautaires entièrement subventionnés qui se doivent d’offrir gratuitement leurs services. Les volets marchands de ces entreprises sont ceux qui permettent de générer les profits à investir dans la mission sociale.
Malheureusement, comme des notions restent encore mal ou peu comprises, plusieurs vont commettre l’erreur de croire que les emplois en ÉS sont nécessairement à l’image de ceux du secteur communautaire, à savoir peu rémunérés, précaires et subventionnés.
Par le fait que plusieurs s’impliquent en réinsertion socioprofessionnelle, d’autres se permettent de conclure que seules les personnes éloignées du marché du travail peuvent y œuvrer. Ce qui est totalement faux! Au Québec, on retrouve plus de 220 000 personnes employées par ce type d’entreprises, et des 9 330 salariés.es dans la seule région du SLSJ, 63% sont des femmes ! À ce sujet, on rapporte d’ailleurs que 50,5% des postes élus sur les CA des EÉS sont occupés par des femmes. Une moyenne nettement plus élevée que la France, selon la directrice du Chantier de l’économie sociale, Béatrice Alain. Elle parle également de l’exemple des Centres de la Petite Enfance pour souligner que «ces entreprises collectives sont des vecteurs de cohésion sociale et ont entraîné une chute de plus du tiers du taux de pauvreté des familles monoparentales». (Source : Gazette des femmes)
Enfin, nommons la difficulté de différencier la notion de l’économie sociale de celle du travail social. Les EÉS ne sont pas des intervenants sociaux. Elles sont des entreprises à part entière, avec des volets et des activités économiques qui se traduisent par la marchandisation de produits ou services, et ce, dans presque tous les secteurs d’activité. Elles offrent des emplois variés et stimulants, autant en services aux personnes et aux entreprises qu’en production/transformation, en agriculture, en développement des technologies ou en commerce de détail. Les personnes qui souhaitent partager les valeurs des EÉS en y convoitant un emploi ont donc accès à un éventail de choix permettant de travailler dans presque tous les domaines. Plusieurs EÉS de la région utilisent d’ailleurs les réseaux offerts par Essor02 pour faire valoir leurs offres et opportunités.
L’accompagnement et le support offert par Essor02 et le programme SISMIC
Heureusement, les gestionnaires et entrepreneurs en économie sociale peuvent compter sur l’expertise d’une équipe compétente pour les accompagner dans leurs démarches visant à accroître leur attractivité en termes de main d’œuvre.
Au-delà des occasions de formations et de sensibilisation, Essor02 offre un service d’incubation pour les EÉS, qui peut s’insérer dans toutes les étapes du démarrage et du lancement de l’entreprise.
Le canevas d’affaires des projets engagés avec lequel notre équipe travaille permet de bien construire et réfléchir, à la base, les éléments spécifiques aux modèles coopératifs et OBNL à volets marchands. Plusieurs éléments ont été touchés par ce papier, comme la gouvernance et les activités-clés qui favorisent l’attractivité et la rétention du personnel, mais d’autres sont également développés avec minutie, tels le marketing social et les canaux à privilégier pour une juste valorisation de la marque employeur.
De plus, en devenant membre de notre réseau, les porteurs.euses de projets peuvent bénéficier d’une panoplie d’activités qui permettent de réseauter et de cocréer avec d’autres EÉS afin, par exemple, de réfléchir aux opportunités de mutualisation citées plus haut.
Pour finir, soulignons que nos contacts privilégiés avec des organismes tels que le Centre Sectoriel de Main-d’œuvre en Économie sociale et Action communautaire, (CSMO-ÉSAC), Territoires Innovants en Économie sociale (TIESS), le Chantier de l’économie sociale et les 21 autres pôles régionaux du Québec nous permettent d’aller chercher l’expertise et de faire évoluer la recherche auprès d’acteurs de choix en ce qui regarde les manières de faire face aux défis de l’employabilité. C’est d’ailleurs dans cet optique que nous invitons les entreprises et groupes porteurs à se joindre à nous, le 29 septembre prochain, lors de l’activité «dîner échange de bonnes pratiques», pour rencontrer la conseillère en attraction de talents de la MRC Domaine-du-Roy, et échanger avec les autres sur leurs expériences en termes de stratégies gagnantes pour continuer de développer cette marque employeur.