Le Marketing en économie sociale : Entre l’éthique et l’étiquette
28 septembre 2023 - Johanne Morin
Nous constatons que l’utilisation de la notion de marketing est souvent associée aux seuls moyens mis à la disposition de l’entreprise pour faire connaître et placer son produit. Bien qu’elle ne devrait pas s’y limiter, cette conception axée sur la communication force à intellectualiser quelques contradictions avec les valeurs véhiculées par l’économie sociale.
Pourtant, apprendre à conjuguer avec la dualité qui oppose le profit et la finalité sociale permet non seulement de renforcer la pérennité des activités marchandes, mais aussi de mobiliser et maintenir l’engagement de sa communauté.
De quoi on parle?
Partons du concept simplifié que le marketing se traduit par l’ensemble des actions posées par une entreprise pour se positionner sur les marchés (le market), dans le but d’accroître ses ventes. Qu’elle soit orientée vers la clientèle, le produit ou le besoin, la stratégie se doit de convaincre toutes les parties prenantes de l’importance du maintien de l’entreprise dans la chaîne de valeur.
Plusieurs associent les techniques utilisées pour y parvenir comme autant de manipulations visant à remettre en question la capacité des individus à faire leurs propres choix. On a tous des exemples en tête où les techniques de dissuasion et les formules de propagande aux apparences trompeuses et abusives semblent vouloir prendre en otage la liberté de penser ou d’agir des individus.
Face à ce constat, les acteurs et actrices de l’économie sociale se questionnent sur la pertinence de l’action marketing. En effet, dans un contexte où les valeurs de l’ÉS reposent, par exemple, sur la valorisation du pouvoir d’agir, l’intégrité et le respect des droits humains, il est juste et vertueux de vouloir se dissocier des pratiques limitant leur épanouissement!
Étendant son influence bien au-delà de la promotion, le déploiement d’une stratégie marketing force à réfléchir à la meilleure synergie possible entre 5 éléments bien précis?: le produit, le prix, la distribution, le service à la clientèle ET la communication. La réussite de la mise en marché dépend donc de l’attention accordée à chacune de ces composantes, et à l’harmonie que nous réussirons à créer entre elles.
Les entreprises d’économie sociale (EÉS) méritent néanmoins de réfléchir ces éléments comme autant de subtilités à appliquer dans des sphères dépassant la simple logique «?marchande?».
Apprendre à déborder des concepts traditionnels
Le produit est généralement l’élément central autour duquel toutes les activités tournent. Il représente la clé qui permet à la structure de générer du profit. Les OBNL, les coopératives et les mutuelles, qui ne trouvent pas leur raison d’être dans cette recherche de profit, ne sont pourtant pas affranchies de tout raisonnement commercial. Pour satisfaire le caractère de viabilité que leur confère la loi, elles ont, certes, tout intérêt à apprivoiser les meilleures stratégies menant à la vente ou à l’échange de leurs produits. Mais nous croyons que plus d’EÉS gagneraient à faire l’exercice de trouver le marché qui conviendra aussi à placer leur mission et leurs valeurs.
Entre l’éthique et l’étiquette se cache l’inévitable travail de recherche de sens, qui permet d’exprimer toute la créativité et la capacité d’innover des EÉS. Sachant que la détermination des prix, par exemple, nécessite de réfléchir à la perception du produit que s’en feront les parties prenantes (en se demandant vers qui nous le dirigeons), pourquoi ne pas en profiter pour se demander aussi qui adhèrera à cette mission (avec toutes les questions sous-jacentes que cela implique)?
Face à la double vocation des projets en ÉS (répondre à un besoin ET vendre ou échanger un produit), la stratégie marketing devrait donc constamment s’efforcer à s’approprier les concepts de produit, de client et de distribution sous une perspective augmentée. Cette recherche d’équilibre entre les différentes composantes de la raison d’être de l’entreprise, ainsi que leur interrelation, complexifie l’élaboration des stratégies marketing. En effet, un produit bien placé ne permettra pas à lui seul d’assumer et de réaliser la mission sociale de l’entreprise. Pareillement, on peut se demander si une mission bien comprise et considérée essentielle par le milieu suffira à vendre le produit qui financera sa réalisation.
Une bonne stratégie marketing a le pouvoir d’influencer sur la valeur qu’une clientèle accorde à un produit (ou les parties prenantes face à la mission), incluant l’estimation des ressources qu’elle voudra bien investir pour se le procurer. Ainsi, les actions qui lui sont conférées doivent s’efforcer de justifier le prix de vente, d’établir les conditions d’achat, et de déterminer, dans le cas des EÉS, les modalités d’adhésion, et les bénéfices de l’engagement. Autrement dit, on lui attribuera la responsabilité d’influencer sur le développement et le maintien de l’engagement collectif, et d’orienter les actions en fonction de ce qu’on souhaite que la communauté investisse en échange de ce que nous lui offrons.
Le marketing peut donc ainsi se mettre au service du renouvellement de notre membrariat, de notre intégration aux priorités de développement local ou de notre ancrage dans la communauté qui nous accueille, et, même, contribuer à attirer les talents qui nous aideront à accomplir nos actions.
Comment y arriver?
Les concepts de mix marketing et de communication marketing intégrée supposent que les stratégies développées s’imbriquent les unes dans les autres dans le but que les unes influent positivement sur les autres, et vice versa. L’expertise développée par Essor02 et le programme SISMIC accompagne les entreprises de l’ÉS dans la compréhension, la distinction, la définition et l’analyse des diverses fonctions de l’entreprise.
Nous disposons d’un réseau et d’une panoplie de partenaires très qualifiés pour renseigner et former les promoteurs collectifs dans le développement de leur compétences marketing, afin que chaque EÉS soit en mesure d’élaborer la stratégie qui collera le mieux à son modèle d’affaires et à ses besoins.
Le 27 octobre prochain, une réflexion sur le sujet aura lieu à la SUITE entrepreneuriale Desjardins d’Alma, en compagnie Dave Gosselin du Groupe CODERR et de Damien Hallegatte, professeur de Marketing de l’Université du Québec à Chicoutimi et auteur de l’essai Le piège de la société de consommation, lors du rendez-vous mensuel des gestionnaires et administrateurs d’EÉS au Saguenay – Lac-Saint-Jean, les dîners échanges de bonnes pratiques.
L’économie sociale comme stratégie de marketing
Dans son axe d’intervention destiné à valoriser les principes, les valeurs et les retombées de l’ÉS, Essor02 consacre une quantité importante de ses activités à développer et partager une image positive du mouvement et des entreprises qui le composent.
Les autocollants « Identifions-nous fièrement ! » d’ESSOR 02 et le logo ÉS développé par le Chantier de l’ÉS, adoptés au cours de la dernière année par plusieurs de nos membres, sont un exemple parmi d’autres des efforts qui sont déployés pour faire reconnaître la marque ÉS, en comptant sur la participation de ses acteurs pour afficher leur allégeance au principes et valeurs qui y sont associés.
À l’ère des certifications sociales et environnementales (BCorp, ISO, FairTrade, etc), et des chartes et des politiques de responsabilité (DD, RSE, ÉDI), les EÉS ont tout avantage à placer et à faire reconnaître leurs expertises respectives et communes auprès des acheteurs touchés par ces engagements. La marque ÉS se veut un gage de qualité et de valeurs ajoutées, qui se doit d’être mise de l’avant.
L’effort fourni par les EÉS en termes de valorisation de leurs missions et de leurs valeurs contribue au rayonnement de cette marque. En tant que réseau, les membres et les partenaires de l’ÉS sont aussi en mesure de poser des actions communes participant à l’essor de l’image forte de sens que représente le mouvement de l’ÉS. C’est en réussissant à dégager la portée économique et social de l’ensemble des actions posées par ses acteurs que l’ÉS trouve, comme cherchent à le faire ses entreprises, les canaux qui mènent à placer sa distinction sur les marchés qui l’attendent.
En tant que tête régionale du réseau de l’économie sociale, ESSOR 02 met de l’avant le savoir-faire de ses membres et s’assure que les principes et les valeurs qui les unissent puissent trouver une voix et un espace communs pour faire briller collectivement l’impact de chacun.